Karol Beffa : le défi des Nibelungen !
Le parcours multiple et déjà long de Karol Beffa, pianiste, compositeur et improvisateur a de quoi impressionner. Enfant acteur, il a interprété de nombreux rôles au théâtre, au cinéma et à la télévision (le petit Mozart du film de Marcel Bluwal, c'était lui !). Brillant élève, il a connu tous les succès scolaires et universitaires possibles (reçu premier à l'Ecole Normale Supérieure, il a étudié l'histoire, l'anglais, la philosophie et même les mathématiques). Il a également obtenu de nombreux premiers prix au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, est agrégé de musique et titulaire d'une thèse de Doctorat en musicologie. Devenu pianiste, improvisateur et compositeur, il a passé deux années en résidence auprès de l’Orchestre national du Capitole et s'implique donc une fois encore avec la Ville Rose à l’occasion de la diffusion, le 4 février prochain, du film de Fritz Lang, Les Nibelungen, en marge des représentations de La Walkyrie au Théâtre du Capitole. Il a très spontanément accepté de répondre à nos questions à propos de cette prochaine intervention toulousaine. |
Classictoulouse : Pouvez-vous évoquer vos relations avec Toulouse et avec son orchestre ?
Karol Beffa : De 2006 à 2009, comme compositeur en résidence, j’ai eu l’occasion de composer trois œuvres, Paradis artificiels, pour l’orchestre, un concerto pour violon écrit pour Renaud Capuçon et un concerto pour piano pour Boris Berezovsky, tout cela sous la baguette de Tugan Sokhiev. Mais c’était aussi, tous les mois, faire des présentations devant un jeune public, de l’école primaire à des premiers cycles d’université, ceci à Toulouse mais aussi en région. Cela m’a également permis de tisser des liens avec la cinémathèque de Toulouse. Une à deux fois par an, j’ai accompagné des films muets et je me suis aussi produit avec des musiciens de l’orchestre dans des concerts de musique de chambre pour quintettes avec piano. J’ai également reçu une commande de l’opéra pour une œuvre sur un texte de Saint Jean de la Croix, Nuit obscure, pour voix de mezzo-soprano et quatuor à cordes.
: Comment évoluent vos activités de compositions, d’une manière générale ?
K. B. : J’ai la chance d’avoir suffisamment de sollicitations pour écrire plusieurs commandes. J’ai toujours sur le feu quelque chose en préparation avec la certitude que l’œuvre sera effectivement jouée et que mon travail sera récompensé. C’est un luxe pour un compositeur. Je me partage donc entre ce travail de composition, qui est assez solitaire, parfois même un brin déprimant parce que solitaire, et le fait de me produire en public, soit en jouant du répertoire, soit en improvisant. Je suis d’ailleurs revenu à Toulouse en 2011 à l’occasion du Marathon des mots pour accompagner des lectures de textes. Ces accompagnements divers m’enrichissent personnellement. J’adore le cinéma, autant comme cinéphile que comme mélomane.
: Quel rapport établissez-vous entre la composition et l’improvisation ?
K. B. : Les deux ne sont pas sans rapport, c’est certain ! Parfois l’improvisation est comme une espèce de laboratoire de la composition. Symétriquement, il m’arrive, au cours de la composition d’une pièce, de tester une certaine ambiance en improvisation et d’observer les réactions. Improviser, c’est un peu comme composer, mais comme si on disposait seulement d’un crayon et pas d’une gomme ! On n’a pas droit au repentir. Quand une chose est faite, elle est faite !
: Dans le cas de votre future improvisation sur le film de Fritz Lang, il y a une référence. Ce mythe des Nibelungen a donné naissance à une œuvre musicale importante. Comment aborder l’improvisation dans ce cas-là ?
K. B. : Il y a plusieurs choses que l’on peut faire. Alors qu’une musique a été écrite à l’époque du film, il est courant aujourd’hui de projeter le film en utilisant des extraits de Wagner plus ou moins bien ordonnés. On a parfois affaire à une sorte de patchwork un peu curieux. Or c’est compliqué parce que Fritz Lang n’était pas un fan de Wagner et s’il s’est plongé dans ces légendes germaniques, ce n’est pas tout-à-fait l’histoire de Siegfried telle que Wagner l’a utilisée dans son Ring. De façon très pragmatique, il m’arrivera, de temps en temps, de faire des clins d’œil à l’esprit et au style de Wagner, parfois même d’utiliser certains leitmotive. Mais comme il s’agit tout de même d’une projection de quasiment cinq heures, je ne peux pas rester dans un seul style musical et j’irai prendre mon bien où il se trouve. Certains passages fantastiques iront chercher du côté Debussy ou post-debussyste. Je pourrai aller du côté de l’expressionnisme et je ne m’interdirai pas quelques clins d’œil à la musique plus ancienne, de la Renaissance ou de Bach, avec son sens du religieux, ou même au silence. C’est un film que je connais bien, mais lorsque je poserai mes mains sur le clavier, je ne saurai pas du tout ce que je ferai. Je me laisserai embarquer par les images.
: Comment allez-vous gérer la durée exceptionnelle de ce film : cinq heures de présence au clavier !
K. B. : C’est en effet un défi. Néanmoins, je vais également accompagner un film sur Les Misérables, de Victor Hugo, un film qui dure plus de six heures (deux fois trois heures) ! Je ne m’interdis pas de ménager parfois des silences, mais normalement je joue en continu. Il est vrai que cela suppose une certaine endurance et un travail important sur le climat.
Propos recueillis le 23 janvier 2018 par Serge Chauzy
Article mis en ligne le 24 janvier 2018
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