si ni Beaumarchais, ni Mozart et Da Ponte son librettiste n'ont osé jusqu'à la
fracture. Son originalité vient par contre assurément de l'univers dans lequel va se dérouler cette folle journée, ici plutôt une journée de fous. Dans un décor unique fait d'un bureau vitré d'Etat Civil et de vitrines d'expositions de vêtements de mariage, les personnages de ce faux « opera buffa » vont mettre à nu de façon violente le réalisme dramatique de leurs relations. D'une précision quasi clinique, la production de Christoph Marthaler, même si elle n'apporte pas d 'éclairage nouveau sur les liens du mariage, est d'une cohérence que l'on se doit d'applaudir.
Reste ce qui fait débat, voire scandale, cette propension à heurter la dynamique d'un discours musical, voulue par Mozart, par des temps morts intempestifs, sans parler des accompagnements au synthétiseur des récitatifs, le tout mettant à rude épreuve le plus patient et ouvert des spectateurs. Tout cela n'est ni le fruit du hasard, ni encore moins celui d'une idée farfelue. Chez Marthaler tout est calculé minutieusement, depuis ce Cherubino en gavroche de banlieue jusqu'à ce Comte, patron d'une boutique minable de prêt à porter version années 50 et essayant en vain d'abuser de son personnel féminin. C'est donc non pas seulement à une nouvelle version scénique de l'ouvre que nous sommes conviés mais bel et bien à une nouvelle version de l'ouvrage lui-même !
Le résultat, pour le moins, divise violemment la salle.
Un Comte royal
Aujourd'hui, le baryton suédois Peter Matteï est certainement l'un des meilleurs interprètes de Mozart dans sa tessiture. Sa voix franche, au faîte de ses moyens, son élégance stylistique et son engagement scénique font de lui un Comte incontournable. Seule dans cette distribution Christine Schäfer (Cherubino) pouvait lui tenir tête grâce à un timbre (de soprano.) d'une parfaite luminosité et une infinie musicalité.
On passera plus volontiers sous silence l'incroyablement absente (vocalement) Susanna d'Heidi Grant Murphy et la Comtesse sans émotion de Christiane Oelze.
Soulignons tout de même le bon Figaro de Lorenzo Regazzo et, globalement, de très bons seconds rôles dont la Marcellina d'Hélène Schneiderman et la délicieuse Barbarina de Cassandre Berthon.
Après une première partie littéralement atone, la direction de Sylvain Cambreling, comme fouettée par les réactions du public, s'anime vers la fin de l'ouvrage.
Il était temps !
Robert Pénavayre